La vie et l’œuvre de Camille Flammarion
L’Astronomie, 1925, pp. 341-365.
La vie de Camille Flammarion est un magnifique exemple de travail, un modèle d’apostolat scientifique et philosophique. La retracer à grands traits est un devoir pour cette Revue, qui lui doit son existence, et à laquelle il collabora, si l’on peut dire, jusqu’au jour même de sa mort.
« Je suis né, dit Flammarion1 le samedi 26 février 1842, à 1 heure du matin, dans le bourg de Montigny-le-Roi, chef-lieu de canton du département de la Haute-Marne, village qui comptait alors 1 267 habitants. »
A l’époque de sa naissance, les parents de Flammarion tenaient un petit commerce de draperie, de mercerie et d’objets usuels. Son père, Etienne-Jules Flammarion (1810-1891) était cultivateur et, pendant sa jeunesse, n’avait pas quitté les champs. Sa mère, Françoise Lomon (1819-1905), « avait plutôt des tendances aristocratiques et lui défendait de jouer avec les enfants du commun ».
« Je suis donc fils de campagnards, s’écrie Flammarion1 , véritable enfant de la Nature. »
Flammarion était l’aîné de quatre enfants : Mme Berthe Martin, née en 1844 ; son frère Ernest, né en 1846 ; puis sa seconde soeur, Mme Marie Vaillant, née en 1856.
La mère du jeune Camille « pensait que son premier né devait avoir une destinée intellectuelle toute spéciale et une glorieuse carrière ». Aussi ne doit-on pas s’étonner que les parents de Flammarion aient voulu lui faire donner une bonne et solide instruction.
Il nous apprend lui-même, dans ses Mémoires, que, dès l’âge de 4 ans, il savait lire couramment ; à 4 ans et demi, il savait écrire ; à 5 ans, il apprenait la grammaire et l’arithmétique. A 6 ans, il était l’élève le plus fort de sa classe et connaissait presque par cœur le Nouveau Testament. Son exemplaire, signé de sa main, porte la date 13 novembre 1848. On retrouve son écriture dans ces trois lignes écrites il y a soixante-dix-sept ans !
Premières observations astronomiques. — Flammarion aimait à rappeler, parmi ses souvenirs d’enfance, deux faits astronomiques, deux observations d’éclipses de Soleil, qui laissèrent en lui une impression ineffaçable. La première, celle du 9 octobre 1847 — il avait 5 ans — était annulaire le long d’une zone s’étendant du Havre à Colmar, et passait juste sur la Haute-Marne. Sa mère — se doutait-elle alors de l’importance de son geste ? — avait placé un seau d’eau devant la maison tournée à l’Est, et c’est par réflexion à la surface du liquide que le jeune astronome, assisté de sa sœur, âgée de 3 ans, suivit le curieux phénomène céleste. La seconde éclipse fut celle du 28 juillet 1851, qui, totale en Allemagne, était partielle aux 60 centièmes à Montigny-le-Roi. Flammarion avait alors 9 ans. Comme la première fois, il observa l’éclipse dans un seau d’eau, et aussi avec des verres fumés à la chandelle. Il a, cette fois, deux aides : sa sœur, âgée de 7 ans et son frère Ernest, qui en a 5. (Tout récemment ce dernier — l’éditeur bien connu — nous racontait ces souvenirs d’enfance et nous les écoutions avec un intérêt que l’on comprendra.)
« L’émotion ressentie lors du premier phénomène fut plus sensible encore, dit Flammarion, et je n’eus cesse ni arrêt d’en avoir l’explication les jours suivants par l’instituteur. »
Ce dernier trouva un livre de cosmographie que le futur astronome parcourut… sans trop le comprendre, puis, pour mieux le saisir, copia page par page. « Mais, ajoute-t-il, je me sentais profondément ému et rempli d’admiration à la pensée que les savants pouvaient calculer d’avance la marche des astres dans le ciel. »
Voici donc, en quelque sorte, le début de la carrière astronomique de Flammarion. L’étincelle magique a jailli, rien n’arrêtera plus cette curiosité innée qui le pousse à s’intéresser à tout.
A 9 ans, ayant terminé les classes de l’école primaire, il commence l’étude du latin, chez le curé du pays. Sa mère voudrait le diriger vers la voie ecclésiastique, — et, il me l’a répété lui-même plusieurs fois, elle a toujours regretté qu’il en ait suivi une autre.
En 1853 — âgé de 11 ans — il entre à la maîtrise de la Cathédrale de Langres et sa passion pour l’observation du ciel se développe. Une belle comète parait en cette année-là. Il la suit chaque jour, et en fait un dessin. Au cours des années 1853 et 1854, ses observations se multiplient : sur la formation du brouillard, vu des remparts de Langres ; sur la visibilité du Mont Blanc ; sur les chrysalides et la formation des papillons.
Flammarion vient à Paris. — Entre 1853 et 1856, se produisit un événement que Flammarion considère comme ayant décidé de sa destinée : ses parents tombèrent tout à coup d’une modeste aisance à la ruine complète. Ils décidèrent de venir à Paris, et laissèrent leur fils continuer ses études chez le brave curé de Montigny, qui en fit les frais.
Mais la vie est dure ; si le jeune garçon avait un métier, il pourrait aider sa famille ; le père occupe un très modeste emploi à la photographie Tournachon, Nadar et Cie.
Flammarion est donc obligé de venir à Paris, où il arrive le 4 septembre 1856. Dans ses Mémoires, il raconte son désenchantement, en débarquant dans ce Paris féérique, où il croyait trouver un éblouissement de palais et de mille splendeurs, d’apercevoir les maisons grises et sales du faubourg Saint-Martin !
Non sans peine, après plusieurs semaines, on trouve enfin à placer le jeune Flammarion comme apprenti chez un graveur-ciseleur : il y sera nourri, logé. Il n’est pas, bien entendu, question de salaire.
C’est ainsi que passent la fin de 1856, l’année 1857 et l’hiver 1858. Aucun travail intellectuel, ni artistique : les apprentis font les courses et les dures besognes.
Heureusement, le soir, le jeune homme peut suivre les cours de l’Association polytechnique, puis les cours de dessin de l’Ecole des Frères de Saint-Roch.
Malgré sa condition modeste, il nourrit l’espoir de passer le baccalauréat ; il apprend seul l’anglais, continue ses études d’algèbre et de géométrie : « Jamais couché avant minuit, dit-il, je me servis plus d’une fois du clair de Lune pour lire et écrire, ne pouvant même avoir toujours un bout de bougie à ma disposition. »
En janvier 1858, donc âgé de 16 ans, Flammarion fonde « l’Académie de Jeunesse » ; c’est un groupement d’élèves de l’Ecole des Frères de Saint-Roch et bien plus une société de secours gratuit en cas de maladie, et aussi d’instruction mutuelle. Les sciences, la littérature, le dessin, ont place au programme de « l’Académie ».
Le Président est élu : c’est Camille Flammarion et il doit faire — évidemment — le discours d’ouverture, c’est-à-dire sa première conférence. Il choisit un bien joli titre : « Les merveilles de la Nature ».
Il est, d’ailleurs, déjà très documenté ; sa bibliothèque comprend deux cent trente volumes ! C’est le point de départ de cette magnifique collection qui, toujours, est allée en s’accroissant : 1 000 en 1864 ; 5 000 en 1874 ; 10 000 en 1910 ; 12 000 en 1925.
Flammarion nous a souvent raconté lui-même sa déconvenue lorsque, trouvant sur les quais des Annuaires des Longitudes pour en constituer la collection complète, le prix dépassait 20 ou 25 centimes ! Et dans ses Mémoires, il explique comment il parvint ainsi, dans ses recherches le long de la Seine, à réunir la collection entière depuis la fondation en 1796, de ces Annuaires, avec leurs importantes notices scientifiques.
En mai 1858, le surmenage intellectuel s’ajoutant au travail physique de l’atelier, le jeune Flammarion tombe malade. Cette maladie, si l’on peut dire, est l’une des chances de sa vie. Le médecin qui vient le soigner remarque un gros manuscrit de 500 pages, écrit par le malade dans sa mansarde, sa journée finie. C’est une étude du monde primitif intitulée : Cosmogonie universelle (qui a paru bien plus tard, en 1885, très modifiée, sous le titre Le monde avant l’apparition de l’Homme). Etonnement, et presque incrédulité du brave docteur, qui entrevoit, dans ce jeune homme, une intelligence supérieure. Cet excellent médecin a des relations. A quelque temps de là, il revient voir son malade et lui annonce qu’ayant fait parler de lui à M. Le Verrier, le directeur de l’Observatoire, il va entrer comme élève-astronome à l’Observatoire de Paris.
Flammarion à l’Observatoire de Paris. — Le jeudi 24 juin 1858, enfin guéri, Flammarion est reçu, à 10 heures du matin, par M. Le Verrier, dans son cabinet de l’Observatoire de Paris. Il faut vraiment lire le récit de cette entrevue dans Les Mémoires biographiques d’un astronome.
Conduit auprès de M. Victor Puiseux, le savant professeur lui posa quelques questions et les réponses ayant été jugées favorables, le Directeur lui annonça son admission à l’Observatoire de Paris pour le lundi 28 juin 1858, en qualité d’élève-astronome, aux appointements de 50 francs par mois, la première année.
« En sortant de l’Observatoire, dit Flammarion, j’avais des ailes… L’avenue de l’Observatoire et le jardin du Luxembourg me parurent un paradis, une contrée céleste, dont je devenais le citoyen et je sentis que j’entrais dans ma voie si longtemps cherchée. »
Voici donc notre jeune astronome dans le temple d’Uranie ; il est au comble de l’enthousiasme. Il croit qu’il va pouvoir se livrer, sans réserve, à son désir d’apprendre et d’approfondir l’Astronomie.
La grande comète de Donati paraît, il l’observe et la dessine de la terrasse de l’Observatoire.
Il y a cependant loin de l’espoir à la réalité. Flammarion voudrait scruter le ciel, en admirer les merveilles : il a été affecté au Bureau des Calculs où il se trouve astreint à une besogne administrative qui ne convient pas du tout à son tempérament : « A côté de l’admirable astronomie mathématique, à côté de la mécanique céleste, il y avait pourtant place pour une recherche plus idéale, plus poétique, plus vivante. » Mais ainsi passent les années 1858 à 1861.
Entre temps, Flammarion a été reçu aux examens du baccalauréat ès sciences et ès lettres. Le travail du Bureau des Calculs prenait fin à 4 heures, laissant ainsi une grande liberté au jeune astronome. Un voyage à la Lune le tente, il y consacre ses loisirs, et rédige un volumineux manuscrit : Voyage extatique aux régions lunaires : correspondance d’un philosophe adolescent. C’est son second ouvrage manuscrit. Il n’a jamais été publié et « il ne le mérite pas », ajoute-t-il lui-même.
La Pluralité des Mondes habités. — La place manquerait pour exposer ici les considérations d’ordre philosophique qui amenèrent Camille Flammarion à écrire son troisième manuscrit, qui fut son premier livre imprimé. On en trouvera l’exposé tout au long dans ses Mémoires2 . Il consacra l’année 1861 à cette composition « enflammée d’une bouillante ardeur » ; l’ouvrage porte pour titre : La Pluralité des Mondes habités.
CAMILLE FLAMMARION lorsqu’il écrivit la Pluralité des Mondes habités (20 ans).
Ici encore, Flammarion semble forcer la chance. Il raconte comment, en portant des corrections des Annales de l’Observatoire à l’imprimerie Mallet-Bachelier, et ayant glissé dans l’enveloppe le manuscrit d’un chapitre de son livre, le prote de l’imprimerie, M. Bailleul, remarqua ce manuscrit. Ayant questionné le jeune homme, il s’étonna de le voir écrire un ouvrage scientifique à son âge, et demanda à lire ce chapitre. Quelques jours après, l’excellent M. Bailleul apprenait à Camille Flammarion que l’imprimerie Mallet-Bachelier — devenue depuis l’imprimerie Gauthier-Villars — était disposée à publier son livre. Quelques mois après, en 1862, l’ouvrage paraissait, tiré à 500 exemplaires. Il obtenait aussitôt un énorme succès.
Le Verrier, le savant directeur de l’Observatoire, était connu pour avoir un caractère épouvantable. Il était détesté de tout le monde. Aussitôt la publication de La Pluralité des Mondes habités, il convoqua son employé et lui dit d’un ton qui n’admettait aucune réplique : « Je vois, Monsieur, que vous ne tenez pas à rester ici. Rien n’est plus simple, vous pouvez vous retirer. »
Le Verrier avait, en raison de son caractère même, un nombre considérable d’ennemis. Aussi ne doit-on pas s’étonner que ceux-çi aient aussitôt pris intérêt à la nouvelle victime du Directeur-dictateur. Présenté par Delaunay à M. Mathieu, président effectif du Bureau des Longitudes, Flammarion entrait bientôt comme calculateur à ce Bureau aux mêmes appointements qu’à l’Observatoire de Paris : 200 francs par mois ! Il était chargé du calcul des positions de la Lune pour la Connaissance des Temps.
En 1862 et 1863, le nouveau calculateur détermine donc les valeurs des ascensions droites et des déclinaisons de la Lune pour les Connaissances des Temps des années 1866 et 1867.
Mais La Pluralité des Mondes habités a fait une impression considérable, le jeune astronome est sollicité de divers côtés pour collaborer à des revues. Il entre à la Revue française le 1er février 1863 : c’est son début dans le journalisme littéraire.
Quatre mois après, le 1er juin 1863, il est chargé de la rédaction scientifique du Cosmos auquel il donne régulièrement, jusqu’en 1869, des articles d’astronomie et de météorologie.
La première édition de La Pluralité des Mondes habités, imprimée chez l’éditeur officiel de l’Observatoire, avait paru amputée toutefois des conclusions philosophiques si chères à son auteur. En quelques mois, cette première édition était épuisée. En 1864, ayant reçu des propositions de la Librairie académique, Flammarion fait paraître une belle édition in-8°, complète cette fois, qui fut très rapidement enlevée et, la même année, une autre édition, in-12.
Flammarion et le journalisme. — La réputation de Camille Flammarion commence à grandir. Son activité est sollicitée dans diverses directions. Il publie, dans l’Annuaire du Cosmos, des études importantes dont voici quelques titres : Discours sur les destinées de l’astronomie (1864) ; Astronomie stellaire, les univers lointains (1865) ; Unité de force et unité de substance (1866).
Le Magasin pittoresque, en août 1864, s’attache Camille Flammarion comme collaborateur. Dès décembre 1864, il compose, pour paraître au numéro de janvier 1865 de cette Revue, des cartes de la position des planètes : c’est le point de départ de l’Annuaire astronomique et météorologique publié, de 1865 à 1884, dans le Magasin pittoresque, de 1885 à 1892 dans la revue mensuelle L’Astronomie, puis de 1893 jusqu’en 1925 en petits volumes annuels. Ainsi, il a rédigé cet annuaire, personnellement, et sans en tirer d’autre profit que le plaisir d’encourager l’observation du ciel, pendant soixante-et-un ans !
Nous sommes heureux de pouvoir annoncer que l’Annuaire astronomique Flammarion continuera de paraître, la publication en étant assurée par l’Observatoire de Juvisy et les bons soins de M. F. Quénisset. Celui de 1926 a, d’ailleurs, été préparé par Flammarion lui-même.
Le second ouvrage de Camille Flammarion, écrit en 1864, paru en février 1865, porte pour titre : Les Mondes imaginaires et les Mondes réels. Puis, en juillet 1865, ce fut le tour du quatrième (si l’on veut bien, avec l’Auteur, considérer l’Annuaire astronomique comme portant le n° 3) : ce sont Les Merveilles célestes.
Flammarion avait conservé le meilleur souvenir et une profonde reconnaissance des leçons qu’il avait suivies aux cours de l’Association polytechnique. D’élève, il devint professeur, et, en octobre 1865, il accepte de faire un cours d’astronomie à l’Amphithéâtre de l’Ecole Turgot, rue du Vert-Bois.
A la fin de l’année 1865, il conçoit le schéma de son beau livre Lumen qui sera le sixième.
La popularité du jeune astronome croît de jour en jour, les journaux sollicitent sa collaboration. Le 12 janvier 1866, Flammarion écrit son premier article dans un quotidien, Le Siècle. Cet article porte pour titre : « La composition chimique des astres révélée par l’analyse de leur lumière ». Cette collaboration au Siècle continuera à raison de deux articles par mois. Puis, elle s’étendra ensuite à d’autres journaux : L’Evénement, Le Voltaire, Le Temps. Plus tard, il donnera des articles à de nombreux journaux ou revues, citons sans ordre : Le Petit Marseillais, puis surtout L’Illustration, Les Annales politiques et littéraires et La Nature, etc…
Les conférences des Capucines. Les projections. — En 1866, Camille Flammarion entreprit ses conférences du boulevard des Capucines, qui obtinrent un si grand succès. Il les continue de quinze en quinze jours, et le Tout Paris intellectuel vient écouter l’astronome dont le renom s’étend chaque jour plus loin. A ces conférences, avec la collaboration de Molteni, il inaugure les projections de vues astronomiques à la lumière oxhydrique3 . Les premières vues sont constituées avec les trente figures des Merveilles célestes et le conférencier s’ingénia bientôt à composer les meilleures vues, les plus pittoresques tableaux astronomiques ou géologiques.
Il y a huit façons de placer un cliché de projection dans une lanterne. Agacé des erreurs du projectionniste, plaçant les vues tantôt à l’envers, tantôt la gauche à droite, Flammarion raconte qu’il envoya chercher un paquet de petits pains à cacheter qu’il plaça au bas, à droite de chaque vue. Le vrai sens était ainsi indiqué, sans erreur possible pour la projection. Ce petit fait d’histoire photographique est intéressant à rappeler, car aujourd’hui, toutes les vues pour projections, dignes de ce nom, comportent au bas, à droite, un petit cercle blanc de papier gommé. Sait-on qu’on le doit à Flammarion ?
Pendant l’hiver 1866-1867, l’astronome écrit son septième ouvrage : Dieu dans la Nature ou le Matérialisme et le Spiritualisme devant la Science moderne, qui parut en mai 1867.
Premier observatoire de Flammarion. — Depuis 1862, époque où Le Verrier l’avait chassé de l’Observatoire, Flammarion rêvait de pouvoir observer ce ciel qu’il chantait dans ses livres, et qu’il aimait tant. En 1866, il loue une terrasse rue Gay-Lussac, y installe une lunette de 0m,108 et peut enfin observer dans un observatoire à lui. La Nova Coronæ de 1866 fait son apparition et il en suit les fluctuations et mesure les variations d’éclat.
Les articles et les études scientifiques, publiés ou inédits, commencent à représenter un labeur important. Leur auteur, en 1867, les réunit en un premier volume intitulé : Etudes et lectures sur l’Astronomie. Neuf volumes de la même série s’échelonneront de 1867 à 1880. Flammarion désigne comme huitième ouvrage cette série si captivante et si instructive de lectures, dont beaucoup constituent des travaux personnels importants sur lesquels nous reviendrons.
Les voyages aériens. — Les problèmes de l’atmosphère, cette enveloppe gazeuse en perpétuel mouvement, qui vient si souvent troubler les observations astronomiques, ces problèmes donc préoccupent Camille Flammarion. Il songe à écrire un grand ouvrage sur L’Atmosphère. Mais, pour mieux étudier les phénomènes qu’il aura à décrire, il veut aller les saisir sur place. Il entreprend donc une série d’ascensions en ballon dont la première eut lieu le 30 mai 1867. Elle fut suivie de onze autres ascensions ; la dernière en 1880. L’aéronaute-astronome a réuni le compte rendu de toutes ces ascensions dans un captivant volume — son neuvième ouvrage— paru sous le titre Mes voyages aériens.
Il devient difficile — dans une étude biographique qui ne peut occuper une place démesurée — de relater, même simplement, la production scientifique de Flammarion. En 1867, il imagine un photomètre pour mesurer les grandes différences de lumière des nuages. Il employa plus tard cet appareil à la mesure de la variation de lumière pendant l’éclipse de Soleil du 22 décembre 1870.
Ses ascensions aérostatiques lui créent une popularité nouvelle et, en juin 1867, Flammarion est élu président de la Société aérostatique de France. En même temps, sur l’insistance de Jean Macé, il accepte la présidence du « Cercle parisien de la Ligue de l’Enseignement ». Il compose, la même année, une Galerie astronomique en douze tableaux, qui est son dixième ouvrage. Pendant l’hiver 1867-1868, Flammarion traduit Les Derniers jours d’un Philosophe, de sir Humphry Davy, qui paraît en 1868 (onzième ouvrage).
En 1867, il fait à l’Asile de Vincennes puis à l’Association polytechnique de Chaumont une conférence sur Les Héros du Travail ; le texte en est publié en une petite brochure.
En mai 1868, Camille Flammarion est nommé président de la classe des sciences à l’Exposition maritime internationale du Havre.
Conférences scientifiques. — De 1868 à 1870, il fait à Bruxelles, Anvers, Ostende, Bruges, Gand, Verviers et dans diverses villes de France des conférences astronomiques. Le succès des conférences du boulevard des Capucines est tel que, de toutes parts, on demande au conférencier de venir parler des merveilles du ciel.
Flammarion n’a jamais hésité à répandre la bonne parole, se prodiguant lui-même sans compter. En dehors des nombreuses conférences qu’il fit dans les séances de la Société astronomique de France, il en a donné, jusqu’en 1914, dans les principales villes de France, notamment à Lyon, Marseille, Nice, Nantes, Rouen, Saint-Brieuc, Le Havre, Chaumont, Langres, Cherbourg, Troyes, Epernay, Versailles ; en Suisse (Genève, Lausanne, Montreux, Neuchâtel) ; en Italie (Gênes, Milan, Venise, Rome, Florence, etc.). C’est au cours de ses conférences à Milan qu’il entra en relations avec Schiaparelli.
L’organisation pratique de ces conférences lui donnait parfois beaucoup de mal ; pour en assurer la réussite, il n’hésitait pas à se charger de la partie matérielle : confection des invitations et des enveloppes d’envoi, rédaction et confection des affiches, etc… Il lui arriva ainsi, pour diminuer les frais, de coller lui-même ces programmes annonçant ses conférences. Ce jour-là il se levait de grand matin pour procéder à cette opération. Un jour, à Milan, comme il venait d’apposer une affiche, un jeune malandrin trouva intelligent de la déchirer par le milieu, comme elle était encore tout imbibée de colle. Ce jour-là, Flammarion connut la colère et le jeune vaurien s’en alla en se frottant le bas du dos…
La dernière conférence de Flammarion date de quelques mois seulement, c’est certainement celle qui a réuni le plus grand nombre d’auditeurs. En effet, le 26 novembre 1924, parlant de son cabinet de travail de l’avenue de l’Observatoire, devant le microphone relié à la Station de l’Ecole supérieure des Postes et des Télégraphes, il prononçait, par téléphonie sans fil, une charmante allocution pour servir de préface aux causeries radio-astronomiques de notre collègue M. Georges Morice4 .
La guerre de 1870. — En décembre 1869, mais portant la date de 1870, paraît le douzième ouvrage de Camille Flammarion : Contemplations scientifiques.
La guerre de 1870 éclate. Flammarion est enrôlé dans la garde nationale et se trouve assimilé au génie. Lui, l’apôtre de la paix, se voit obligé de revêtir un costume militaire. Un poste de surveillance de l’investissement prussien est installé dans le château de la Muette. Cinq observateurs y sont affectés, transformés en officiers du génie dont Camille Flammarion, capitaine ; Paul Henry et Prosper Henry, les astronomes de l’Observatoire de Paris, le premier lieutenant, le second sous-lieutenant. Le poste est muni de puissantes lunettes permettant de régler le tir des forts sur les pièces allemandes qui bombardent Paris.
Jusqu’ici, nous avons suivi, autant que possible, l’ordre chronologique pour esquisser l’histoire de la vie du célèbre astronome. La tâche a été rendue facile par le fait que cet ordre est précisément celui adopté par Flammarion dans ses Mémoires. Quel bel exemple il y donne de volonté, d’ardeur au travail et de désir de s’instruire. En d’autres temps, cet exemple eût été souvent cité, et beaucoup eussent envié de le suivre. En sera-t-il de même aujourd’hui où l’on voit si fréquemment de tout jeunes gens, de délicates jeunes filles, rêver de vivre leur vie à l’âge où Flammarion entrait à l’Observatoire de Paris. Flammarion, quoique parvenu à un âge terrestre avancé, leur dirait que jamais il n’a pu « vivre sa vie » ; jamais, en effet, il n’a été blasé, il avait encore tant de travail en perspective, tant de questions à approfondir, tant de recherches à faire…
Dès la guerre finie, Flammarion, plus actif que jamais, poursuit de multiples travaux, publiant de nombreuses notes dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences, donnant des articles dans les journaux, des conférences, etc…
En 1877, il donne cette instructive et si complète description des autres planètes : Les Terres du Ciel, où il expose l’ensemble des conditions particulières à chacun des astres du système solaire.
La même année, il publie un Grand Atlas céleste comprenant cent mille étoiles, trente et une cartes, dont celles de M. Ch. Dien rectifiées.
L’Astronomie populaire. — La réputation de l’astronome français a fait le tour du globe. Elle va tout à coup briller d’un éclat incomparable lorsque paraît, en 1880, L’Astronomie populaire, cette magnifique et délicieuse exposition des grandes découvertes de l’astronomie. L’Astronomie populaire, c’est l’œuvre de Flammarion par excellence ; elle a éclipsé, si l’on peut dire, tous ses autres ouvrages. Maintes fois rééditée, elle a été imprimée à plus de 130 000 exemplaires (en France) et elle a été traduite dans toutes les langues. Elle a certainement eu des millions de lecteurs. L’ouvrage était réellement « populaire ». Pour le rendre accessible à tous, il avait été mis en vente par livraisons à 10 centimes ! Ce prix, aujourd’hui, nous paraît dérisoire. Le succès est énorme, on veut voir le ciel, on se procure des lunettes, l’astronomie connaît une période de curiosité et d’intérêt comme jamais il n’y en a eu. L’Académie des Sciences couronne l’ouvrage en décernant à l’auteur le prix Montyon.
A dater de ce jour, demandez à quiconque s’il connaît le nom de Flammarion ? La réponse est quelquefois vague, mais on sait que c’est l’astronome, celui qui s’occupe du ciel, des étoiles…
L’Astronomie populaire — que d’aucuns, parfois, ont cru trouver « amusante » — est en réalité un ouvrage d’instruction, de haute portée philosophique et surtout créateur de vocations. A ce point de vue, il a rendu plus de services que bien des volumes techniques, bourrés de formules ou de conceptions transcendantes : il a fait aimer l’astronomie, il y a conduit des esprits éminents, il a orienté des destinées : la plupart des astronomes de notre époque ont débuté en lisant Flammarion. Et on pourrait citer des personnages officiels — jugeant parfois sévèrement l’œuvre du Maître, — qui sont venus à la science grâce à lui.
Enseignement de l’astronomie. — Une description générale des découvertes de l’astronomie n’est pas suffisante, le nombre de ceux qui veulent voir est grand et de tous côtés on veut un guide précis, quelque chose comme un « Joanne » du ciel. Flammarion vient au secours, dans Les Étoiles et les Curiosités du Ciel (paru en 1881) de ces altérés de science. Il faut lire, au début de cet ouvrage, l’insistance d’un « amateur » qui implore Flammarion de donner ce Manuel des étoiles et le dialogue vraiment passionnant qui s’ensuit.
Pour ne pas allonger démesurément cette notice, ajoutons seulement que Camille Flammarion a voulu mettre à la disposition de l’étudiant du ciel tous les éléments d’un travail sérieux, nous ne disons pas complet, car en astronomie la production est mondiale, et des bibliothèques entières sont nécessaires pour réunir les travaux publiés.
Flammarion met donc à la portée de ses lecteurs : Une grande carte céleste contenant toutes les étoiles visibles à l’œil nu ; Une planisphère mobile donnant la position des étoiles pour chaque jour et chaque heure de l’année ; une Carte de la Lune ; un Globe de la Lune ; un Globe de Mars. Voilà pour meubler l’observatoire d’un étudiant-astronome.
Il y a cependant les débutants, ceux qui ont tout à apprendre : Flammarion songe à eux, il y songe même beaucoup si l’on en juge par ces livres qui portent les titres suivants : Qu’est-ce que le Ciel ? Petite astronomie descriptive ; Initiation astronomique ; Astronomie des Dames, etc…
Puis, il y a les études historiques, les monographies spéciales : Histoire du Ciel ; Copernic et le système du monde ; La planète Vénus, discussion générale des observations ; L’invention des lunettes d’approche : Galilée ; Le pendule du Panthéon ; Les imperfections du calendrier, etc…
Ouvrages divers. — Nous avons vu que, dès 1867, Camille Flammarion, songeant à écrire un ouvrage sur l’enveloppe gazeuse dans laquelle nous sommes plongés, avait entrepris une série de voyages aérostatiques. L’atmosphère, météorologie populaire, a été publiée en 1871. En 1885, parut enfin Le Monde avant l’apparition de l’Homme dont le manuscrit —très remanié par la suite — avait été écrit, on se le rappelle, au début de 1858. Notons encore, parmi les ouvrages ne traitant pas d’astronomie : Tremblements de Terre et Éruptions volcaniques ; L’éruption du Krakatoa ; Les caprices de la foudre ; Les phénomènes de la foudre ; Curiosités de la science : le temps, le calendrier ; Contemplations scientifiques : la Nature, plantes, animaux, hommes, etc…
Ouvrages philosophiques. — On reste confondu devant une telle production. Heureusement, elle ne s’arrête pas là, car la partie philosophique et littéraire de l’œuvre de Flammarion est celle qui séduit le plus, qui a le mieux répandu le goût de la science, le désir de savoir, d’approfondir : « A côté de la mécanique céleste, avait-il dit, il y avait pourtant place pour une recherche plus idéale, plus poétique, plus vivante. » Cette compréhension de l’astronomie, idéale, poétique, vivante, Flammarion l’a développée, en l’enjolivant parfois d’histoires, d’idylles ou de circonstances, qui font de la lecture de ses ouvrages un véritable régal spirituel. Lumen, son dixième ouvrage, dont il avait conçu le plan dès 1865, en est le prototype. Il a publié ensuite : Récits de l’infini : Histoire d’une Comète ; La Fin du Monde ; Uranie ; Stella ; Rêves étoilés ; Voyages dans le Ciel ; Dans le Ciel et sur la Terre ; Clairs de Lune ; Excursions sur les autres Mondes ; Contes philosophiques ; Mémoires biographiques et philosophiques d’un Astronome, etc…
La planète Mars. — A dessein, nous n’avons rien dit, jusqu’ici, des travaux considérables de Flammarion sur la planète Mars. L’étude de cette planète l’a toujours préoccupé ; par sa position dans le ciel au-delà de la Terre, par son atmosphère limpide, Mars est la seule planète du système solaire dont nous puissions voir les configurations de sa surface. Si, à part la Terre, les autres planètes du Soleil abritent des humanités, Mars a toutes les chances d’en posséder une. C’est pour cela que l’auteur de La Pluralité des Mondes habités affectionnait ce monde voisin, il l’a beaucoup observé lui-même, encourageait les observateurs et, depuis 40 ans, centralisait à Juvisy toute la production scientifique relative à cette planète. Il y a consacré certainement une grande partie de ses efforts. En dehors de nombreux articles parus dans diverses publications et notamment ici même en ce Bulletin, il a réuni en deux forts volumes : La planète Mars et ses conditions d’habitabilité (Tome 1 paru en 1892 ; Tome II, en 1909), l’ensemble de toutes les observations connues depuis 1636 jusqu’en 1909. Le Tome III est commencé, Mme Flammarion ayant déjà réuni une grande partie de la documentation. Souhaitons-lui de l’achever bientôt. Mais, dit-elle, « c’est un travail de bénédictin » nécessitant des traductions en quatre langues.
L’Observatoire de Juvisy. — Un des plus chers désirs de Flammarion était de posséder un observatoire sérieux, bien outillé, d’où il put, tout à loisir, étudier le ciel. Ici, encore, les circonstances vinrent le servir. En décembre 1882, un riche propriétaire de Bordeaux, un admirateur inconnu des ouvrages et des idées du savant astronome, M. Méret, vint lui offrir une belle propriété sise à la Cour de France, à Juvisy-sur-Orge (Seine-et-Oise). L’histoire de l’Observatoire de Juvisy a été contée par ailleurs en ces pages5 , et la place nous manque pour la donner en détail. Flammarion s’occupe immédiatement de faire transformer cette propriété en observatoire : il a la bonne fortune de pouvoir — avec le concours du constructeur Bardou— le doter d’un équatorial de 0m,24.
Nos lecteurs connaissent bien les travaux entrepris par l’Observatoire de Juvisy, qui, pour la plupart, ont été publiés en ce Bulletin. L’étude de la planète Mars, l’observation des surfaces planétaires, des nébuleuses, la photographie des comètes, des éclipses, l’étude des étoiles filantes, etc…, ont occupé la première place au programme des travaux.
Depuis 1891, M. Flammarion avait complété l’Observatoire astronomique par une station météorologique et une station de radio-culture. Les observations faites ont paru dans L’Astronomie et dans L’Annuaire astronomique. Une discussion complète des observations et des expériences a été publiée dans le Bulletin de l’Office des renseignements agricoles du Ministère de l’Agriculture de l’année 1909.
L’Observatoire de Juvisy a été légué par testament à Mme Camille Flammarion, qui en reçoit en même temps le titre de Directrice. Sous sa direction, et avec la collaboration de M. F. Quénisset, que tous nos lecteurs connaissent, la production de l’Observatoire de Juvisy continuera certainement d’occuper une place importante dans les travaux astronomiques.
CAMILLE FLAMMARION à l’époque de la fondation de l’Observatoire de Juvisy (40 ans).
M. F. Quénisset est un véritable disciple de Flammarion : il est venu à l’astronomie par la lecture de ses ouvrages. Ses premières observations à Juvisy remontent à 1889 ; en 1893, il y découvrit une comète. Après son départ au service militaire, M. E.-M. Antoniadi devint astronome-adjoint à l’Observatoire de Juvisy, poste qu’il a occupé jusqu’en 1902 ; M. A. Benoit lui succéda de 1902 à 1905. En 1906, M. Quénisset qui, dans l’intervalle, s’était livré à d’importants travaux astronomiques, revint à l’Observatoire de Juvisy, avec le titre d’astronome-adjoint. Il s’est surtout spécialisé dans la photographie astronomique, dont il est devenu un des maîtres, à tel point que, parfois, on l’a appelé le « Barnard français ».
Assurer l’avenir de l’Observatoire de Juvisy était une des grandes préoccupations de Camille Flammarion. On a vu plus haut, que de nombreux amis y pensent.
« L’Astronomie » ; la Société astronomique de France. — Dans la première édition de L’Astronomie populaire (1879) l’auteur envisageait la création d’un observatoire populaire. Il écrivait : « L’entreprise est assurément loin d’être irréalisable. Si même les lecteurs de L’Astronomie populaire le veulent, ils peuvent eux-mêmes créer leur propre observatoire. On désire également, ajoutait-il, voir la fondation, à l’usage de tous les amateurs d’astronomie, d’une revue périodique mettant au courant des progrès si rapides de la science. Ce journal astronomique serait le complément naturel de l’observatoire projeté. Tous les souscripteurs seront naturellement considérés comme fondateurs et comme membres de la Société astronomique, etc… »
Camille Flammarion eut le bonheur de mettre successivement ces projets à exécution. En mars 1882, il fondait la revue L’Astronomie. Cette revue a régulièrement paru jusqu’en 1894, sur un format un peu différent de ce Bulletin.
Le 28 janvier 1887, ayant réuni chez lui quelques collaborateurs de L’Astronomie, plusieurs astronomes et des amis de la science, Camille Flammarion fondait « la Société astronomique de France ». Nos lecteurs savent tous quel magnifique développement elle a pris et l’importance de son Bulletin mensuel, qui a adopté, avec l’assentiment de M. Flammarion, le titre et la vignette de l’ancienne revue L’Astronomie.
Pour savoir l’énorme contribution personnelle apportée par Flammarion à notre Bulletin, il convient de revoir toutes les tables annuelles depuis 1887 et de relire les comptes rendus de toutes les séances. Cette contribution continuera, car il nous reste encore des articles de lui à publier.
En 1889, la Société astronomique de France installait, 28, rue Serpente, à Paris, un observatoire ouvert aux sociétaires et, certains jours, au public. Ainsi se trouvent réalisés les trois projets exposés par Flammarion dans L’Astronomie populaire, réalisation entièrement due à ses efforts persévérants.
Travaux techniques. — Flammarion, chassé de l’Observatoire de Paris, en 1862, par l’irascible Le Verrier, avait fait un serment : « Il me fait partir, il partira ! » Il ouvrit, dans le journal Le Siècle, une rubrique intitulée « Le dossier Le Verrier ». Ce dossier, commencé le 10 février 1866, fut continué jusqu’à la fin (février 1870), époque où M. Le Verrier fut relevé de ses fonctions de Directeur de l’Observatoire de Paris et remplacé par Delaunay.
En 1873, Le Verrier, assagi, fut rappelé à la direction de l’Observatoire (il occupa ce poste jusqu’à sa mort, en 1877). La leçon avait porté. Le Verrier demanda à Camille Flammarion, en lui exprimant ses regrets du passé, de revenir à l’Observatoire de Paris. Voici donc de nouveau Flammarion dans notre grand Etablissement national en 1876, occupé à des mesures d’étoiles doubles. Ces mesures furent publiées en 1878 dans un volume ayant pour titre : Les étoiles doubles ; catalogue des étoiles multiples en mouvement. Cet ouvrage est devenu très rare, il a servi bien souvent dans les observatoires, car il constitue un travail de première importance.
Au cours de ses recherches sur les étoiles doubles et multiples, Flammarion découvrit, en 1873, que le deuxième compagnon de ζ Cancri a un mouvement essentiellement irrégulier autour de l’étoile principale et du premier compagnon. Ayant construit la courbe de l’orbite apparente, il fut frappé par les stations et les rétrogradations inattendues du compagnon le plus éloigné, qui lui donnèrent une forme d’épicycloïde. Tournant et retournant les observations dans tous les sens, il ne cessait pas de trouver cette irrégularité constante ; et en mars 1874, il communiquait ce fait si curieux à Faye, aux frères Henry et à d’autres astronomes. Avant de présenter ce résultat à l’Académie des Sciences, il voulut le compléter par des mesures récentes et précises, et il écrivit à cet égard à Otto Struve, directeur de l’Observatoire de Poulkowa, pour lui demander communication de ses dernières mesures sur ce système remarquable. L’astronome germano-russe ne répondit pas, mais envoya, quelques mois plus tard, ses mesures à l’Académie, en prétendant révéler au monde savant cette singularité de l’orbite de la troisième étoile ! Le pli cacheté remis alors par Flammarion à l’Académie lui assura la priorité et l’indépendance de sa belle découverte6 .
Le compagnon d’Aldébaran (α Tauri) a ensuite retenu l’attention de Flammarion. Avant lui, les astronomes attribuaient le mouvement du compagnon de cette belle étoile de première grandeur au déplacement de celle-ci. Mais, en mesurant ce groupe en 1877, Flammarion ne trouva pas le compagnon juste où il aurait dû être, si vraiment son déplacement n’était dû qu’au mouvement propre d’Aldébaran, mais plus à l’Est, ou plutôt au Sud-Est, comme s’il était emporté lui-même dans l’espace par un mouvement particulier.
Dans Les Étoiles, Flammarion a donné une figure qui montre la direction et la vitesse du mouvement propre d’Aldébaran et les mêmes éléments observés sur le compagnon.
La première communication présentée par Camille Flammarion à l’Académie des Sciences remonte au 20 mai 1867. Depuis cette date, il a présenté plus de soixante communications à l’Académie, sur les sujets les plus divers. On peut en juger par les titres de ces notes — que l’absence de place ne nous permet pas d’analyser ici :
Variation de la lumière pendant les éclipses.
Anomalies présentées par les observations magnétiques de Paris.
Corrélation entre le magnétisme terrestre et l’activité solaire.
Influence de la lumière sur les êtres vivants.
Production des sexes chez les vers à soie.
Expériences de radioculture.
Statistique de la pluie à Paris.
Relation entre la température terrestre et les taches solaires.
Observation de la lumière zodiacale.
Etude des étoiles filantes.
Le cratère lunaire Linné.
Variations à la surface de la Lune.
Observations d’éclipses de Soleil, d’occultations de Vénus, d’Antarès.
Liste des éclipses du XXe siècle.
Discussion et critique de l’existence hypothétique de Vulcain.
Observations de passages de Mercure, de Comètes.
Formule permettant de calculer la durée de chute d’une planète sur le Soleil.
Relation entre la durée de rotation des planètes et leur densité.
Sur la rotation de Vénus.
Observations de Jupiter et de l’éclat de ses satellites.
Sur l’anneau de Saturne.
Sur les étoiles doubles en mouvement.
Sur la 61e du Cygne, etc…, etc.
Un assez grand nombre de ces notes ont été réunies, étendues, discutées dans les Etudes et Lectures sur l’Astronomie qui sont une véritable mine de documentation scientifique de la plus grande valeur.
Flammarion y donne une étude critique de l’ensemble des observations du passage de Vénus sur le Soleil de l’année 1874.
A la suite de ses observations de Vénus et de celles de M. E.-M. Antoniadi faites à Juvisy, Camille Flammarion a conclu que nous ne savons rien de la durée réelle de rotation de cette planète.
Mars, nous l’avons vu, était pour Flammarion une planète de prédilection. Il est le premier qui ait prouvé, dès 1876, les changements qui affectent l’aspect de plages sombres de cette planète. Les observations ultérieures de Schiaparelli et des astronomes de notre Observatoire de Meudon ont confirmé d’une façon éclatante les conclusions du Maître sur ce point.
Cette variation des plages sombres est une indication en faveur d’une certaine vie à la surface de la planète, d’origine végétale sans doute.
Dans ses dessins planétaires, Flammarion était très sincère. Ses représentations sont très sobres et très véridiques, montrant moins de détails qu’il n’en voyait effectivement, mais ces détails étaient sûrs. Quel contraste avec certains dessins maniérés, d’aspect cubiste ou futuriste, dont certains observateurs de notre temps ont empoisonné la presse scientifique !
Il nous faut citer ici un certain nombre d’autres travaux de Flammarion, notamment :
Détermination de l’existence d’une planète transneptunienne par l’orbite des étoiles filantes du 10 août et de la comète 1862, III (1879).
Projet de réforme du calendrier (1884-1901-1922).
Détermination du pôle céleste par la photographie et son déplacement annuel depuis 1894 (commencé par le dessin en 1867).
Cinématographie du mouvement diurne de la Terre, de Mars, de Jupiter et du Soleil (1897).
Rétablissement du pendule de Foucault au Panthéon et enregistrement des observations (1902).
Discussion des observations magnétiques faites à Paris depuis l’an 1541 (1900).
Découverte de courants d’étoiles (1908).
Observation, dessin et photographie des nébuleuses et amas du catalogue de Messier (1917-1922)7 .
L’observation des phénomènes de la nature passionnait Flammarion, on peut dire depuis son enfance (à 11 ans, il notait, on s’en souvient, des observations sur les chrysalides et les papillons).
De 1871 à 1924, il a consciencieusement noté les dates de feuillaison et de floraison des marronniers de l’avenue de l’Observatoire, pour rechercher une relation possible avec les phénomènes solaires. Le Bulletin a publié l’exposé de ces comparaisons.
En 1891, il planta un chêne dans la grande serre du Muséum d’Histoire naturelle en vue de rechercher l’influence d’une température constante — sensiblement — sur ce végétal. Comme il s’y attendait, ce chêne eut des feuilles persistantes, la variation annuelle de température ne l’affectant plus. Nous avons pu photographier cet arbre le 28 janvier 1906 et offrons ici, à nos lecteurs, une reproduction de cette photographie. Elle n ‘a jamais été publiée.
Le chêne planté par Camille Flammarion dans la grande serre du Muséum, conservant ses feuilles toute l’année.
En 1903, Camille Flammarion entreprit des essais de cultures suivant les phases de la Lune.
La création à Juvisy, en 1894, d’une nouvelle branche de la physique, la « radio-culture», a donné des résultats fort intéressants. Les expériences ont montré la curieuse influence de la lumière sur les animaux et les plantes. Des vers à soie, élevés dans les serres couvertes en verre de couleur, produisent de la soie naturellement colorée.
Les plantes se comportent d’une manière différente dans les serres de couleur. Dans le bleu, elles vivent, mais ne croissent pas, la vie est ralentie. Dans le rouge, elles se développent avec rapidité, la vie est exaltée. Ainsi, des sensitives, qui, le 13 juin, avaient toutes une hauteur de 0m,03, atteignaient, le 12 octobre, 0m,035 dans le bleu, et 0m,50 dans le rouge, contre 0m,28 en lumière blanche. En outre, la forme, la couleur et la dimension des plantes sont transformées8. Ces expériences ont obtenu un Grand Prix à l’Exposition universelle de 1900.
Signalons — de 1892 à 1925 — la photographie des phénomènes météorologiques, nuages, arcs-en-ciel, halos, etc… (plus de 1 500 clichés), puis, en 1900, la statistique de la foudre pendant le XIXe siècle, etc., etc…
Nous arrêterons ici cette citation des travaux de Flammarion, mais on pourrait la continuer longtemps encore.
Etudes psychiques. — Dans ses Mémoires, Flammarion raconte son anxiété lorsque, âgé de 7 ans, il croisa un enterrement. Et il pose cette question à un camarade : « Est-ce que je mourrai aussi ? » Sur la réponse affirmative de son ami : « Ce n’est pas vrai, répliqua-t-il, on ne doit pas mourir. » Il rêva à cela, dit-il, plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois. Cette conviction innée le poussa donc, dès sa jeunesse, à étudier le problème de la vie, les forces naturelles, connues ou inconnues, etc. Il se consacra à ces études dès novembre 1861.
Du 20 au 25 octobre 1865, il rédigea un petit livre de 152 pages (son cinquième ouvrage par ordre chronologique), intitulé Des forces naturelles inconnues. Ce petit livre, non imprimé, devint beaucoup plus tard, en 1906, un livre de 600 pages, qui fut réimprimé en 1908, puis en 1909 sous le titre Les forces naturelles inconnues. Nous ne pouvons nous étendre sur cette partie de l’œuvre de Flammarion. Il exécuta un grand nombre d’expériences avec les médiums les plus célèbres, puis se livra à des enquêtes très serrées sur les phénomènes psychiques. Il a résumé l’ensemble de ses travaux dans plusieurs livres qui ont remporté un succès considérable, tant il est vrai que le problème de la destinée humaine préoccupe toujours les habitants de notre petit globe. Voici les titres de ces ouvrages : L’inconnu et les problèmes psychiques ; La mort et son mystère divisé en trois volumes : « Avant la mort », « Autour de la mort », « Après la mort », Les maisons hantées. D’autres ouvrages, comme on le verra plus loin, étaient en préparation.
Pour Flammarion, le psychisme ne doit pas être un dogme, une religion, mais une science basée sur des faits d’observation rigoureusement analysés.
Flammarion et la paix. — Flammarion a eu une belle, une heureuse existence : c’est peut-être une conséquence de son excellent caractère, d’une égalité d’humeur parfaite. Avec lui, toutes les difficultés s’évanouissaient comme par enchantement, Au cours de cette collaboration déjà longue avec le Maître — elle remonte à la fin de 1896, lorsqu’il me demanda de rédiger, chaque mois, le « Ciel » qui termine nos numéros mensuels— j’ai pu constater maintes fois, dans les mille détails du travail matériel, combien sa constante bonne humeur venait à point réconforter le courage abattu par les difficultés qui semblent se dresser à plaisir dans les fonctions d’un secrétaire.
Flammarion était essentiellement bienveillant et bon. On pourrait citer beaucoup d’exemples de cette bienveillance : nombreux sont ceux de tout rang, qui venaient frapper à sa porte pour lui demander une faveur, un service…
Un jour d’été, il y a plus de vingt ans, j’allais rendre visite au Maître dans son cabinet de travail de l’Observatoire de Juvisy, tout tapissé de livres, d’ouvrages rares et de souvenirs. Il y faisait fort sombre, les persiennes de la fenêtre donnant sur son bureau étaient fermées. Pour avoir un peu de lumière, il travaillait sur un angle de son bureau, éclairé par la seconde fenêtre.
« Maître, vous ne voyez pas clair ? »
« Voyez », fit-il, et en même temps, de l’ongle, il donnait quelques petits coups sur la vitre.
Dans un nid, construit entre la barre d’appui et la persienne, quatre petits becs, largement ouverts, se dressaient vers le ciel, attendant la becquée. Ce n’est que lorsque la nichée fut envolée définitivement que l’astronome consentit à ouvrir sa fenêtre. Le grand Flammarion n’avait pas voulu compromettre l’existence de ces quatre êtres minuscules.
Le tempérament essentiellement bon et sensible de Flammarion se révèle dans un fait qu’il raconte dans ses Mémoires, remontant à une époque où des régiments traversaient Montigny-le-Roi. Il avait environ 7 ans. A quoi servaient tous ces soldats ? Il explique ses réflexions d’enfant : « Je m’efforçai de comprendre comment les nations sont nécessairement ennemies les unes des autres, et je n’y parvins pas ?» « Je n’y suis pas encore parvenu aujourd’hui, explique-t-il. »
Flammarion s’est toujours révélé comme un pacifiste, aimant la vie, aimant les autres, déplorant l’emploi de la force. L’agression de 1914 l’avait profondément affecté. « L’humanité terrestre est une singulière espèce, dit-il. » Et il montre les exemples extraordinaires de dévouement mis par des hommes pour en sauver un autre en danger, fût-il un vieillard, près de la fin de sa vie, un misérable malade condamné par tous les médecins ; à côté de cela deux peuples s’élancent l’un contre l’autre, les millions d’hommes valides et jeunes se jettent sur d’autres millions : « Cette race prétendue intelligente trouve cela tout naturel…Je le demande à tout lecteur raisonnable, devons-nous qualifier la politique des nations autrement que par le titre d’idiote, d’infâme, de barbare et de la dernière stupidité. »
Dans tous ses écrits, Camille Flammarion s’élève contre l’injustice, contre la violence. S’il est pacifiste, il n’en aime pas moins son pays, et les atrocités commises par l’ennemi lors de l’attaque allemande de 1914 lui arrachent plusieurs protestations énergiques. Il faut lire ses articles sur La brutalité allemande dans l’histoire, et cette lettre aux citoyens américains sur La libération de la Belgique, datée du 21 décembre 1914. Il convient même de la relire aujourd’hui, cette lettre : avec le recul du temps, elle semble prendre une importance insoupçonnée ; elle a peut-être eu une influence plus grande qu’on ne l’imagine dans l’histoire de la Grande Guerre.
Distinctions honorifiques. — Tant de travaux, une renommée véritablement universelle, ont valu à Camille Flammarion des distinctions honorifiques extrêmement nombreuses dans tous les pays : tous lui ont accordé leurs plus hautes distinctions. En reconnaissance de ses idées, un grand nombre de groupements se sont formés sous son patronage et le nombre de « Sociétés astronomiques Flammarion » est élevé dans le monde. On compte également plusieurs « Observatoires Flammarion » à l’étranger.
En France, Camille Flammarion avait été nommé Officier d’Académie en 1867, Officier de l’Instruction publique en janvier 1882, Chevalier de la Légion d’Honneur le 18 janvier 1881, Officier en 1912 et Commandeur en 1922.
La vie de Camille Flammarion. — Camille Flammarion avait épousé, le 18 août 1874, Mme veuve Mathieu, née Sylvie Pétiaux-Hugo, qui, pendant de longues années, fut pour lui une collaboratrice assidue et dévouée. Mme Sylvie Flammarion mourut le 23 février 1919 ; elle est inhumée dans ce beau parc de l’Observatoire de Juvisy, où maintenant repose, à côté d’elle, le Fondàteur de la Société astronomique de France.
Resté seul, âgé de 77 ans, Camille Flammarion aurait sans doute mené une existence bien pénible et bien triste, lui qui ne se préoccupait jamais des conditions matérielles de la vie, s’il n’avait été, une fois encore, inspiré par sa bonne étoile.
L’lllustration a conté récemment la vie de Gabrielle Renaudot, née dans le voisinage de l’Observatoire de Meudon, au 15 de l’avenue du Château, cette magnifique allée ombragée qui monte à la terrasse de l’ancien château ; sa famille quitta Meudon pour venir habiter non loin d’un autre Observatoire, celui de Paris. Installée au 22 de l’avenue de l’Observatoire, la petite Gabrielle, âgée de 7 ans, commença ses études dans un modeste cours pour jeunes filles installé au n° 40 de la même avenue, à l’angle de la rue Cassini (n° 16), dans cette maison où Camille Flammarion habitait depuis 1870, et dont, est-il besoin de le dire, il était le plus ancien locataire.
A 9 ans, la jeune Gabrielle Renaudot continua ses études au Lycée Fénelon, elle y resta huit années. Elle aimait l’étude, elle aimait les sciences, surtout les sciences naturelles, elle aimait regarder le ciel et les étoiles : déjà on la plaisantait et on l’appelait « l’astronome ». Les parents ne comprennent pas toujours les enfants — n’est-ce pas arrivé à Flammarion ? — on voulait pousser la jeune fille vers les arts d’agrément, vers les distractions mondaines et pour la punir de trop étudier — ce dont tant d’élèves seraient si heureux — on la menaçait de la priver d’aller à l’école…
Un double deuil—son père et sa mère disparaissant à trois semaines l’un de l’autre — vint bouleverser son existence. Elle avait fréquenté, avec sa famille, les brillantes réceptions données rue Cassini chez Camille Flammarion, réceptions où se rencontraient des célébrités, des savants éminents de tous pays, toute l’élite intellectuelle de Paris et du monde. Elle fit part au Maître de l’intérêt qu’elle prenait à l’étude de l’astronomie, qu’elle avait apprise à aimer dans ses ouvrages.
Mlle Renaudot devint secrétaire de Camille Flammarion, et se consacra, dès lors, entièrement à son œuvre. Elle publiait des articles très remarqués dans La Nature, La Revue scientifique, La Revue générale des sciences, etc… En 1912, l’association des journalistes parisiens l’accueillait dans ses rangs.
Pendant la Guerre, de 1915 à 1920, Mlle Renaudot exerça les fonctions de Secrétaire-adjoint par intérim de la Société astronomique de France, le signataire de ces lignes étant alors mobilisé. Grâce à elle, notre Bulletin n’a connu aucune lacune en cette période difficile.
CAMILLE FLAMMARION dans son Observatoire de Juvisy (Octobre 1924, 82 ans 1/2).
Depuis 1915, Mlle Renaudot travaillait au tome III de La Planète Mars et effectuait, à l’Observatoire de Juvisy, de nombreuses observations de la planète voisine.
Une collaboration de plus en plus complète aux ouvrages du Maître, une fusion si harmonieuse de pensées trouvait sa conclusion logique le 9 septembre 1919 par le mariage de Camille Flammarion et de Gabrielle Renaudot.
Les ouvrages posthumes. — Camille Flammarion laisse à sa veuve le soin de continuer ses travaux, que la mort est venue interrompre. Il lui laisse la Direction de l’Observatoire de Juvisy, ce qui est déjà une lourde charge. Mais d’autres travaux sont en cours, que l’on attend, notamment ces livres encore nombreux, dont les manuscrits sont les uns terminés, les autres ébauchés, et qui viendront s’ajouter aux cinquante-cinq ouvrages publiés.
Les Fantômes et les Sciences d’observation, dont le Maître corrigeait les épreuves encore la veille de sa mort, sont sur le point de paraître (en octobre prochain).
Le tome II des Mémoires est très avancé comme rédaction. On sait avec quelle impatience il est attendu par tous les lecteurs du tome I, et par tous les admirateurs de Flammarion.
Parmi les autres ouvrages en partie rédigés, dont la documentation est réunie, ou bien dont le plan est tracé, on peut citer Philosophie astronomique, Le Monde invisible, Les métamorphoses du Globe, L’autre monde.
Camille Flammarion se préoccupait beaucoup de la réédition de son grand ouvrage L’Astronomie populaire. Paru, comme on l’a vu, en 1879, il avait été imprimé avec les moyens de l’époque, l’illustration entière était faite au moyen de gravures sur bois, fort belles, car elles étaient bien exécutées, mais n’ayant pas la fidélité de la photographie. Depuis cette époque, en quarante-six ans, l’astronomie a fait des progrès considérables. Cette période, inférieure à un demi-siècle, a vu naître l’emploi pratique de la plaque au gélatino-bromure d’argent, c’est-à-dire toute la photographie astronomique ; elle a vu construire les instruments géants actuels : télescopes du Mont Wilson, équatoriaux de Yerkes, de Lick, etc. ; elle a vu naître aussi toute la spectrographie astronomique, si riche en résultats. L’Astronomie populaire a donc besoin d’être mise à jour des progrès de la science, en lui conservant ce cadre fondamental qui a fait son succès. Son auteur pensait l’illustrer uniquement au moyen de photographies, ce qui est bien pour nous réjouir en tant que disciple fervent de Niepce et de Daguerre. Mais que l’on conserve ces belles compositions si poétiques de la première édition, car la photographie, pour les rendre, exigerait un artiste et un metteur en scène de force peu commune. Que l’on respecte aussi toutes ces légendes poétiques qui nous ont tous charmés :
Emportée par le Temps, poussée vers un but qui fuit toujours, la Terre roule avec rapidité dans l’espace.
Le voyageur errant sur les rives de la Seine, s’arrêtera sur un monceau de ruines, cherchant la place où Paris aura, pendant tant de siècles, répandu sa lumière…
La Terre donne à l’homme ses fruits, ses troupeaux, ses trésors ; la vie circule et le printemps revient toujours.
Après la guerre, la Nature reprend toujours ses droits.
Au sein de la nature sauvage, les premiers guerriers eux-mêmes n’avaient que la Petite Ourse pour guider leurs pas.
Au nom de Flammarion, il faut que, dans la prochaine édition, nous retrouvions tout cela !
Conclusion. — On reste confondu, même à la lecture d’un exposé si succinct, réduit parfois à une simple énumération, de l’immensité de l’œuvre accomplie par Camille Flammarion. Travailleur acharné, savant désintéressé, chercheur infatigable, cet homme extraordinaire ne vivait réellement que pour le plaisir d’étudier et surtout pour la joie de communiquer à autrui l’amour de cette science du ciel qu’il affectionnait par-dessus tout. Toute sa vie, il s’est efforcé de « populariser » l’astronomie, de faire comprendre aux foules les beautés de la nature, de transmettre aux autres une part de cet enthousiasme scientifique qui l’animait. Mais il se défendait de rendre vulgaire la science des astres et n’aimait guère le titre de « vulgarisateur » que, si souvent, on lui a décerné.
Quoique « Citoyen du ciel », il avait su, le moment venu, prendre sa part dans la défense de son pays et soutenir la juste cause d’un pays ami, spolié et opprimé. A ce titre et par son œuvre, Flammarion est un grand Français !
Bien peu d’hommes ont connu, comme lui, une « popularité » aussi grande, s’étendant, on peut le dire, à toute la Terre. Il faut citer les noms de Gambetta, de Victor Hugo, de Pasteur pour en trouver de semblable à la sienne. Rarement, exception faite pour les fondateurs des grandes religions et des doctrines philosophiques, un homme exerça une telle influence sur les esprits, faisant, par ses ouvrages, des milliers et des milliers d’adeptes, amenant chaque jour à la science de nouveaux disciples.
Maintenant que le Maître n’est plus là, le devoir de tous ceux qu’il a éclairés de sa flamme spirituelle est de continuer son œuvre bienfaisante et féconde. La Société astronomique de France, « sa chère fille » comme il l’appelait, donnera l’exemple ; on y entretiendra toujours cet esprit particulier qui a fait tout son succès, parce qu’il est celui même de son Fondateur.
EM. TOUCHET.
1. Mémoires biographiques et philosophiques d’un astronome, par CAMILLE FLAMMARION, pp. 7 à 13. Il sera fait de larges emprunts à ces Mémoires au cours de cette notice. On sera d’ailleurs bien inspiré de relire cet ouvrage en entier.
2. Chapitre XI.
3. Employait-on, avant lui, les projections dans les cours et conférences ? Nous ne le croyons pas. Ce point serait à fixer.
4. Voir L’Astronomie, décembre 1924, p. 519.
5. Voir Bulletin, août 1907, pp. 345 à 356 ; septembre 1907, pp. 389 à 400 ; octobre 1907, pp. 427 à 441.
6. Voir Les Etoiles et les Curiosités du ciel, pp. 339 et suivantes. Je remercie mon collègue et ami, M. E.-M. ANTONIADI, d’avoir bien voulu appeler mon attention sur certains travaux de Flammarion signalés ici (T.).
7. Pour l’analyse plus complète des travaux de Camille Flammarion, le lecteur est prié de se reporter au discours prononcé par M. Jean Mascart, lors du Jubilé de 1912. L’Astronomie, mars 1912, pages 111 à 126.
8. Voir Bulletin d’août 1897, pp. 305 à 317 et 2 planches en couleurs.